top of page

Sommelier :    un métier en mutation

Propos recueillis par Franck Pinay-Rabaroust / © mstaniewski

 

Le sommelier hautain, confit dans son vocabulaire et son savoir dégoulinant, a disparu. Place à la nouvelle génération qui sait écouter son client. Reste que le métier n’attire pas plus les foules que ça dans les écoles. Salaire pâlichon, évolution dans le métier au rythme de sénateur, la sommellerie souffre d’un déficit d’image très français.

Entretien avec Franck Ramage, responsable du département vins au sein de l’école parisienne du Cordon Bleu

Quel regard portez-vous sur l’univers de la sommellerie en France ?

FRANCK RAMAGE – La France souffre d’un système très traditionnel dans lequel le parcours initiatique est long et contraignant. Avec, au final, un constat : la désaffection pour la mention complémentaire en sommellerie. Et une conséquence forte : il est difficile de recruter du personnel pour assurer le service du vin au restaurant.

Comme tous les métiers de salle, celui de sommelier impose une certaine rigueur. Est-ce que le restaurant moderne a fait évoluer l’approche du sommelier dans son rapport au client ?

Il y a toujours l’exigence du juste geste mais l’image du sommelier rigide, voire hautain, est en voie de disparition. Les codes s’assouplissent, à l’image de la relation avec le client qui se doit d’être beaucoup plus dans l’empathie et l’humilité. Cette évolution est importante car elle doit permettre le renouveau de la profession dans les écoles, d’autant plus que ce changement comportemental irrigue tous les types de restaurants, du trois étoiles Michelin jusqu’à la bistronomie.

Qu’entendez-vous par:

« parcours initiatique» ?

Le sommelier est-il financièrement intéressé

aux ventes ?

Tout se fait par étape et par échelon. Vous commencez par commis sommelier puis, doucement, vous allez monter dans la hiérarchie de l’équipe. Il faut parfois plusieurs années pour commencer à avoir un travail valorisant. Il y a bien la solution du mentor qui va vous faire rapidement franchir les échelons, mais cela n’arrive pas à tout le monde. Sans cette cooptation, il y a un fort risque de lassitude qui peut entrainer un changement d’orientation professionnelle.

Connaît-on les mêmes évolutions à l’étranger ?

Le marché étranger est très différent, du fait que cette rigidité historique n’y a quasiment jamais eu cours. Surtout, la hiérarchie est moins marquée, voire inexistante. Les chemins de carrière sont plus courts, avec une ascension au sommet de la hiérarchie très rapide, comme en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis ou en Asie. En revanche, il faut savoir que le fait d’être Français représente un avantage réel. Notre savoir-faire est reconnu par-delà nos frontières. Une expérience dans un grand établissement français constitue un vrai sésame pour un restaurant étranger.

Est-ce que la difficulté de recrutement s’explique également par le niveau

des salaires ?

Il est difficile de dire que les salaires sont particulièrement attractifs. Un commis sommelier démarre aux alentours de 1300 euros net. Au regard des exigences du métier – être impeccable, savoir échanger avec un client, s’adapter à différentes situations -, cela reste très raisonnable. Être sommelier, c’est une vocation.

Et les pourboires ?

Hier le pourboire pouvait représenter de fortes sommes, notamment quand l’addition se payait en liquide. Aujourd’hui, avec la généralisation de la carte bleue, le pourboire s’est raréfié. Il y a quelques années, il y a même eu des redressements fiscaux à cause des pourboires très généreux.

Le rôle du sommelier est très particulier car il constitue un important levier sur la note finale du client, donc du chiffre d’affaires du restaurant. Analyser les besoins du client fait partie de vos compétences ?

C’est une compétence primordiale. Elle l’est pour des raisons financières évidentes, mais pas seulement. Il faut savoir proposer au client une bouteille au prix qui lui correspond. Proposer à un client une bouteille pas assez chère est aussi grave que le contraire. Pour certains, un bon vin exige le choix d’une bouteille chère, voire la plus chère de la carte. A nous de sentir cela et de savoir si le client mérite telle ou telle bouteille.

Lorsque j’étais encore en poste, j’ai toujours travaillé avec un intéressement, lequel pouvait grimper rapidement certains mois de l’année. Mais la volonté de l’État et des établissements a été de le supprimer. En pratique, et sauf exception, les sommeliers sont désormais au fixe et les chefs sommeliers peuvent avoir un intéressement. C’est encore quelque chose qui se négocie dans le contrat dans les grandes maisons. A défaut d’une part variable sur le salaire, le sommelier peut négocier d’autres avantages : plus de jours off pour descendre dans les vignobles par exemple.

Que voulez-vous dire par

« mériter telle

ou

telle bouteille » ?

Au client, vous devez impérativement lui faire sentir que c’est lui qui fait le choix du vin, en fonction de son envie, de ses goûts et de son portefeuille. Mais, en réalité, un bon sommelier est celui qui va savoir placer la bouteille qu’il désire. Sur certaines références, il faut sentir si le client la mérite. Je m’explique : en back office, le sommelier doit gérer ses stocks et ses allocations. La question n’est plus tant celle du prix mais de la rareté de la bouteille. Cela ne sert à rien de vous séparer d’une bouteille difficile à avoir à un client qui ne saura pas l’apprécier. Cet aspect-là fait également partie du savoir-faire du bon sommelier.

Est-ce que la multiplication de l’offre du vin au verre a une influence sur votre rapport au client ?

Pas seulement par rapport au client. Le vin au verre modifie beaucoup de choses. D’abord, cela augmente l’importance du rapport avec le client. Nous revenons à de nombreuses reprises à sa table, il faut justifier nos choix d’accords à chaque fois. Avec la bouteille, cela ne se faisait qu’une fois, voire deux pour savoir si tout va bien. En revanche, sur la scénarisation du service, il n’y a pas de différences notables.

Cela modifie également notre rapport avec le chef : les échanges doivent être plus conséquents pour bien comprendre les spécificités de chaque plat. A nous en outre d’arriver à raconter une histoire différente au client, que ce soit le cépage, l’histoire du vigneron, la géologie du terrain… Et en fonction des retours du client, nous devons également nous adapter et modifier les accords. Si l’exercice est très valorisant pour le sommelier, il se complique donc largement. Car cela exige une bonne gestion des stocks pour éviter les pertes et, inversement, optimiser les coûts. C’est bien la preuve que le métier de sommelier bouge, évolue et s’adapte aux évolutions actuelles du monde du restaurant.

 

 

 

La sommellerie au Cordon Bleu

« Au Cordon Bleu, la formation concerne entre 11 et 30 étudiants chaque année, âgés de 22 à 60 ans. Notre formation a évolué il y a trois ans avec, désormais, une volonté forte de ne pas se limiter au seul métier de sommelier. Journalisme spécialisé, dégustation en public, importation de vins, etc. font désormais partie des cours et des débouchés éventuels.

Notre apprentissage est toujours très précis : maîtrise des techniques, du bon geste, du bon relationnel. Grâce à cette rigidité du discours, le futur professionnel saura s’adapter à toutes les situations. Chaque année, de nombreux intervenants extérieurs – journaliste, caviste, sommelier, agent, œnologue, importateur – viennent expliquer leur métier. L’objectif est de susciter une vocation pour l’un de ces domaines. Nous proposons également cinq voyages dans le vignoble pour être au plus proche du terrain et une vingtaine de repas en accords mets-vins pendant lesquels il est toujours intéressant de voir les réactions et commentaires de nos étudiants étrangers. » (FPR)

bottom of page